Je quitte mon corps, j’ose pas en parler

Le centre Noêsis, dans le quartier de Plainpalais, donne résolument dans la sobriété (murs blancs, quelques meubles et lampes design) réchauffée par l’accueil de Sylvie Déthiollaz, docteure en biologie moléculaire, et de Claude-Charles Fourrier, psychothérapeute.
Ce soir-là, comme chaque dernier jeudi du mois, une vingtaine d’hommes et de femmes s’y sont retrouvés pour échanger les expériences hors du commun qui leur sont «tombées dessus» sans qu’ils ne l’aient cherché.
Comme Marc*, par exemple. Avant sa retraite, ce pharmacien travaillait dans un hôpital universitaire romand et n’a rien d’un adepte du New Age. Il y a de nombreuses années, il est opéré du cœur en urgence. «J’étais aux soins intensifs quand j’ai commencé à monter lentement au-dessus du lit où mon corps reposait. Puis je me suis retrouvé sur une sorte de toboggan horizontal, je me sentais de plus en plus triste quand j’ai été attiré par une lumière et de la chaleur, j’étais bien, apaisé. » Quand Marc se réveille, l’épisode lui revient. «J’ai réagi en scientifique. C’était simplement des hallucinations dues aux médicaments. »
Et voilà que des années après, «j’apprends que j’ai failli mourir ce jour-là». Puis, Marc lit, par hasard, un ouvrage consacré aux expériences de mort imminente (EMI, NDE en anglais), un phénomène dont il n’avait jamais entendu parler. La sortie du corps, un passage sombre, puis la lumière, le bien-être, l’impression de baigner dans le Grand Tout; la plupart des éléments de son «hallucination» y figurent. De toute évidence, Marc a vécu une EMI. Comme des millions de personnes dans le monde selon les scientifiques qui s’intéressent à ce phénomène depuis 1975.
Le mystère des EMI, c’est ce qui a conduit Sylvie Déthiollaz à fonder le centre Noêsis en 1999. «Je cherche à comprendre. En scientifique, sans a priori. S’agit-il d’un passage dans une autre dimension, dans l’au-delà? D’un phénomène purement physiologique? Pour l’instant, on n’a aucune explication convaincante. D’où ce lieu d’écoute en échange de témoignages qui alimentent nos recherches. »
On peut se rendre à Noêsis en personne, transmettre son témoignage par Internet ou par téléphone ou se joindre au groupe de rencontre. On peut aussi y trouver du soutien grâce au thérapeute Claude-Charles Fourrier qui a rejoint le centre en 2004.
Gare aux clichés ! C’est que vivre une EMI, ce n’est pas toujours une expérience merveilleuse qui débouche sur une existence qui prend enfin tout son sens. «Il y a beaucoup de clichés autour de ce phénomène, avertit Sylvie Déthiollaz. Beaucoup de gens le vivent mal parce qu’ils n’osent pas en parler. Par peur qu’on se moque d’eux ou qu’on les prenne pour des fous!» Quant aux relations privées ou professionnelles, elles peuvent sérieusement tanguer si les valeurs ou les intérêts de l’intéressé(e) se modifient radicalement.
Des ego se mettent aussi à enfler dangereusement. «Certaines personnes peuvent devenir intolérantes, relève Claude-Charles Fourrier. Elles seules savent, elles seules ont vécu quelque chose d’extraordinaire…» Enfin, toutes les EMI n’apportent pas un sentiment de béatitude. «Les expériences négatives, terrifiantes, ça existe aussi et certainement davantage qu’on ne le croit, constate Sylvie Déthiollaz. Mais c’est encore pl us dur de les raconter, surtout quand les gens ont entendu parler d’EMI. Ils se disent: qu’est-ce que j’ai fait pour vivre cet enfer, alors que pour les autres c’est le paradis? »
Après analyse de dizaines de témoignages, Sylvie Déthiollaz a étendu son champ de recherche à d’autres «états de conscience modifiés», comme les spécialistes cataloguent ces moments hors du commun. «Des sensations d’EMI surviennent aussi sans que l’on soit proche de la mort, pendant une méditation, par exemple. Même chose pour les sorties de corps. »
A Noêsis, on rit aussi !
Thomas* en sait quelque chose. Il est âgé de 25 ans et assure qu’il lui arrive de se déplacer sans son corps. «C’est une personne tout à fait rationnelle qui, enfant, croyait que ça arrivait à tout le monde», raconte Sylvie Déthiollaz. Cela survient notamment lorsqu’il s’ennuie. Comme quand il a regretté de ne pouvoir aller à l’anniversaire costumé d’un de ses amis parce qu’il était malade. «Il s’est senti quitter son lit et y est allé. Le lendemain, il pouvait décrire les costumes et savait même ce qu’avait pensé son ami quand il a ouvert un cadeau qui ne lui plaisait pas! Thomas en a beaucoup ri et nous aussi. Vous savez, ces états ne sont pas forcément solennels et sombres!» s’amuse Sylvie Déthiollaz.
Note: * noms connus de la rédaction
Site Internet du centre: www.noesis.ch