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Le numérique a la mort aux trousses

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Que deviennent nos données informatiques après notre décès? Le problème de la succession digitale est loin d'être réglé.

Aurore est décédée. C’était il y a cinq ans. Pourtant, son profil Facebook, lui, vit toujours. Ses proches l’ont transformé en mausolée. Untel poste une photo, un autre se fend d’un mot souvenir. Le tout ne serait pas choquant si le réseau social n’envoyait pas chaque année une alerte anniversaire à ses «amis». L’internaute ne meurt-il donc jamais?

Avec le développement des technologies digitales, la question de la mort numérique s’invite dans le débat, entraînant avec elle une foule de questions: que deviennent nos données numériques (mails, réseaux sociaux, photos…) lorsque l’on passe de vie à trépas? Peut-on hériter d’une bibliothèque iTunes comme on récupérait les vinyles de grand-père? Les morts du Web ont-ils le droit de reposer en paix? «Le sujet reste encore très peu encadré par la loi, souligne le conseiller national Jean Christophe Schwaab, c’est pourquoi j’ai décidé de déposer un objet parlementaire en septembre dernier, afin que le droit de succession s’intéresse enfin aux données numériques.» L’enjeu est de taille. Selon la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), un profil Facebook sur cent – soit 130 millions de pages – appartiendrait à un mort.

Droit à la succession lacunaire

«Et avec le vieillissement de la population, cela ne va pas s’arranger, explique Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information à l’Université de Nantes. Il viendra un jour où le nombre de profils de personnes décédées dépassera celui des vivants. Les géants du Web, qui ignoraient complètement ce problème il y a encore deux ans, commencent à proposer des solutions et les choses semblent enfin bouger.» Facebook, Twitter, Instagram et LinkedIn ont ainsi mis en place des formulaires en ligne permettant aux proches de clore le compte d’un disparu. «Il faut alors prouver que l’on appartient bien à la famille», précise Olivier Ertzscheid. Mais d’autres sociétés, comme Skype, n’offrent toujours rien. Pour Gmail, Google propose un «gestionnaire de compte inactif». L’utilisateur paramètre la durée à partir de laquelle une boîte mail est jugée inactive (de trois à dix-huit mois). Au-delà de ce délai, la firme de Mountain View efface toutes les données associées, dont celles hébergées dans Google Drive. «Ces procédures sont un premier pas, mais c’est un peu comme se rendre chez le notaire afin de rédiger un testament. Peu de personnes pensent à le faire de leur vivant, poursuit Olivier Ertzscheid. Et après, c’est trop tard. Ce sont les paramètres par défaut qui s’appliquent. Et la plupart du temps, les pages restent actives.»

Si fermer les comptes d’un défunt se révèle souvent possible, comment récupérer ses données? Avec l’avènement du cloud computing, toute notre vie se trouve stockée dans des serveurs situés à l’autre bout de la planète, enfermée dans nos comptes Google Play, iTunes, iCloud, Amazon… «Et presqu’à l’instant où vous mourrez, tout s’évapore, explique Olivier Ertzscheid. L’ensemble de vos MP3, votre bibliothèque de livres numériques, vos films et photos de vacances… Plus rien n’est accessible. Pourtant, il s’agit de vos albums de famille et vous avez acheté légalement tous vos biens culturels. Il ne serait donc pas choquant que vos proches puissent en hériter.»

Mais les géants du Web ne le voient pas de cet œil. Chez Apple, l’existence d’un compte est liée à un numéro de carte de crédit. Après un décès, elle est désactivée et les données disparaissent avec elle…

«A ce niveau, il y a une lacune légale quant à la protection du consommateur, estime Jean Christophe Schwaab. Apple agit de manière illégale. La Loi sur les droits de succession devrait permettre aux héritiers de récupérer les biens culturels.» Et la marque à la pomme n’est pas la seule: Amazon n’autorise pas davantage la succession de la vie numérique. Google et Facebook, eux, permettent de faire une extraction de tous les fichiers mais… avant la mort. «Légalement, toutes ces entreprises se protègent derrière leurs improbables conditions générales d’utilisation (CGU), que tout le monde «approuve» mais personne ne lit», note Olivier Ertzscheid.

Testaments et mausolées 2.0

La mort est aussi un business. Pour faire vivre la mémoire d’un défunt, il est possible depuis 2009 de demander à Facebook de transformer son profil en «compte commémoration». Le politicien Michel Chevrolet, décédé en 2012, possède ainsi sa page mémoire. Et d’autres cimetières virtuels apparaissent, tels que Elysway.com, Dansnoscoeurs.fr ou Paradisblanc.com. «Dans nos sociétés occidentales, ces monuments aux morts online ne sont pas choquants. Ils ressemblent finalement à nos cimetières, précise Olivier Ertzscheid. Mais à une époque où Facebook et les autres tentent de conquérir de nouveaux marchés, des problèmes vont se poser. Car toutes les cultures ne sont pas prêtes à accepter ce type de démarche.»

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